Contre le ferroutage, ou comment les Verts s’enferrent dans le développement duraille

Val de Suse, Italie, 16 novembre 2005 : 80 000 personnes manifestent contre le TGV Lyon-Turin. Les habitants de cette vallée, rejoints tardivement par les Verts Italiens, se battent contre ce projet depuis des années. La première semaine de décembre verra des dizaines de milliers de personnes occuper le site des travaux, se faire expulser en pleine nuit par des milliers de flics, puis réoccuper le terrain deux jours plus tard.

Grenoble, 9 décembre 2005 : une poignée de manifestants rassemblés devant le local des Verts-Isère dénonce le soutien des élus écologistes français au TGV Lyon-Turin. Étonnés, les militants Verts : “Comment pouvez-vous être contre le train ? Cette ligne TGV permettra le ferroutage ! C’est un projet écologique, non ? »

Le Lyon-Turin est un cheval de bataille des Verts depuis 20 ans. Au départ ce projet devait être une ligne TGV reliant les deux grandes villes en deux heures et achevant la liaison Lisbonne-Kiev. Face à l’enfer du trafic de camions dans les Alpes, les Verts ont milité pour en faire aussi une ligne de ferroutage. Ils considèrent le Lyon-Turin, « chantier du siècle » (15 milliards d’euros ; percement d’un tunnel de 53 kilomètres ; 15 ans de travaux) comme une victoire. Une récompense pour leur participation au système. Une carotte justifiant leur existence politique. « Après une année de mandat (NDR : au Conseil régional de Rhône-Alpes), les Verts ne sont pas mécontents de l’audience qu’ils ont acquise au sein de l’exécutif de Jean-Jack Queyranne, notamment sur la question des transports en Rhône-Alpes, et plus particulièrement du fret. A la tête de la commission Transports, Gérard Leras, chef de file des Verts, travaille en étroite collaboration avec le socialiste Bernard Soulage (NDR : ex-directeur de cabinet de M. Destot à la Ville de Grenoble), premier vice-président en charge de ce dossier, ce qui n’écarte pas la nécessaire confrontation des points de vue. »1

Pour les non avertis, Gérard Leras a gagné son collier d’opposant raisonné dans la lutte contre l’autoroute A51 (Grenoble-Sisteron) dans les années 1990, qu’avec ses compères des Verts et de la FRAPNA il a contribué à anesthésier. Aujourd’hui toute l’étendue de leur contestation consiste à réclamer un « aménagement » des routes nationales 75 et 85 en deux fois deux voies, soit une autoroute par un autre nom. Réclamation qui s’accompagne précisément d’un développement du ferroutage, notamment du Lyon-Turin.

Sourds aux arguments des opposants et des Verts italiens, les écotechs français ignorent les risques environnementaux du projet (présence d’amiante et d’uranium dans les montagnes qui doivent être percées) et ne craignent par d’infliger aux habitants de l’étroit Val de Suse (300 à 800 m de large) une autoroute ferroviaire de 300 trains par jour. « Nous, les gens de la vallée, nous avons déjà donné. Chez nous passent deux routes nationales, une autoroute, une ligne électrique à haute tension et une ligne ferroviaire.« 2 Selon Gérard Leras, une bonne com’ aurait résolu le problème : « L’Etat italien a généré le refus des populations en présentant un dossier sans transparence, sans information sur le chantier et son impact environnemental, faisant uniquement apparaître le Lyon-Turin comme un train voyageurs à grande vitesse et pas comme un moyen de transférer le trafic marchandise de la route vers le rail. »3 Berlusconi, prends-en de la graine, chez les Verts isérois on sait comment manœuvrer les « populations ».

Le ferroutage est l’avenir de la marchandise

Eternels gestionnaires des nuisances, les Verts français ont la solution pour absorber les flux croissants de marchandises : le ferroutage, soit le transport des camions de marchandises ou des conteneurs par des trains. « Initialement le Lyon-Turin était un projet voyageurs, ce sont les Verts qui lui ont fait prendre le virage du transport des marchandises »4, se flatte Gérard Leras. Le président de la communauté de montagne de la basse vallée de Suse, Antonio Ferrentino, raconte une autre histoire : « Au départ, la TAV (NDR : le TGV) Lyon-Turin est née comme un projet pour les passagers. Puis les promoteurs se sont rendu compte que les perspectives n’étaient pas suffisamment importantes. Ils ont donc ajouté le projet de transport ferroviaire pour les marchandises et les camions. »5

Qu’importe. Pour Leras, « il est désormais indispensable de faire des études sur les flux de marchandises existants et à venir pour prouver à la population l’utilité de cette nouvelle liaison ferroviaire à grande vitesse. »6 Notons qu’il s’agit d’abord de lancer le « chantier du siècle », et ensuite de réaliser les études qui prouveront son bien-fondé. Décidément les socialistes rhônalpins peuvent se féliciter de l’audience qu’ils ont acquise auprès des Verts, qui ont adopté jusqu’à leurs process inversés. Sans doute prévoient-ils ensemble pour 2020 un débat citoyen sur l’opportunité du Lyon-Turin.

En train ou en camion, le trafic de marchandises alimente cette croissance que les Verts comme leurs alliés socialistes vénèrent à genoux. Leras : « Je crois qu’il faut réaffirmer aujourd’hui que l’unique priorité, dans une vision prospective et responsable d’aménagement du territoire, c’est de traiter le problème des marchandises par le rail. Et ce même si l’essentiel est d’œuvrer à long terme pour des économies de proximité et contre les déplacements inutiles. » 7

Le long terme attendra, aujourd’hui les Verts œuvrent pour que les citadins consomment des tomates en plein hiver, pour que Carrefour vende en France du riz « bio » cultivé dans le sud de l’Italie et conditionné en Belgique, pour que nos yaourts n’arrivent pas sur nos tables avant d’avoir tourné 3000 kilomètres autour de l’Europe.

« Il ne faut pas oublier que le trafic entre la France et l’Italie doublera dans les 20 prochaines années. (…) Réfléchissez seulement au fait que la région Rhône-Alpes est l’un des 4 grands moteurs économiques européens, avec la Bade-Wurtemberg, la Catalogne et la Lombardie (…) Vous comprenez, le Lyon-Turin a une grande importance stratégique en Europe : c’est le chaînon manquant de l’axe ouest-est qui permettra de relier Lisbonne à Kiev. Et Lyon sera justement un carrefour fondamental avec l’axe nord-sud, celui qui va de Londres à Naples. » Au moins Bernard Soulage parle-t-il franc : l’objectif du Lyon-Turin, c’est le maintien de Rhône-Alpes en tête des régions les plus riches d’Europe, la croissance de son activité donc les flux de toutes sortes.

Comme de règle pour toute nouvelle infrastructure, le ferroutage contribuera à la hausse du trafic des marchandises, facilité par la nouvelle ligne. Le Lyon-Turin ne réduira pas le trafic mais l’augmentera, il est conçu dans ce dessein.

Le ferroutage par le Lyon-Turin sert beaucoup d’intérêts particuliers. Celui des tenants du « développement durable », qui prétendent défendre l’environnement des vallées asphyxiées par les camions (Mont Blanc, Maurienne). Celui des industriels, transportant toujours plus de marchandises d’un bout à l’autre de l’Europe, qui multiplient délocalisations et sous-traitance de la production. Celui enfin des élus de Rhône-Alpes et du Piémont, qui clament la création de « milliers d’emplois » sur le chantier et promettent le « rayonnement international » de leur région.

Quant à nous, contre le ferroutage, contre le TGV et contre le « développement durable », nous réclamons la relocalisation de la production. Aucune vallée au monde ne mérite d’être sacrifiée au trafic de marchandises et au passage de TGV. Nous demandons l’abandon de ce projet de développement techno-industriel et la démission de ses promoteurs, écotechs verts compris.

Nous appelons Dauphinois et Savoyards à se joindre à la lutte des Piémontais, en manifestant à Chambéry le samedi 7 janvier 2006 à 14h, place du Palais de Justice.

Les escargots, 21 décembre 2005
publié sur Rebellyon.

 

1 Le Daubé 4/07/05
2 Le Monde 20/12/05
3 Le Daubé, 16/12/05
4 Le Daubé 20/12/05
5 Libération, 15/12/05
6 20 Minutes, 20 décembre 2005
7 Le Daubé, 4/07/05

 

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