Comment protéger la montagne en la détruisant ?

Les leçons de communication de la ville de Chambéry et de la Région Rhône-Alpes.

   La ville de Chambéry, du conseil municipal à la communauté d’agglomération Chambéry Métropole, ainsi que la Région Rhône-Alpes, sont d’ardents promoteurs du TGV Lyon – Turin. Ces institutions nous offrent cet hiver deux belles opérations de propagande, qui voudraient nous faire croire qu’il est possible de préserver les montagnes tout en défendant une myriade de projets de bétonnage, dont le Lyon – Turin n’est qu’une composante, étrangement jamais évoquée.
 
  A Chambéry, c’est « l’année montagne ». Durant toute l’année 2013, une multitude de salons, conférences, et autres manifestations publiques vont avoir lieu pour démontrer que Chambéry est « une ville au service des montagnes ». Derrière les événements bon enfant et grand public, typiques de ce genre d’opération, on sent poindre l’inquiétude chez ceux qui gèrent la montagne. Jugez plutôt, avec les contenus de certaines conférences : dans « Une géographie des conflits environnementaux », on apprendra que « ces épisodes de tensions sont révélateurs de la perception et des rapports à la « nature » propre à chacun », où comment prévoir et désamorcer les oppositions à la destruction du milieu alpin. Ailleurs on s’interrogera avec intérêt : « Quel futur pour le tourisme en montagne ? ». Une question à laquelle nous aideront à répondre les Mountain Riders, en décernant le « Flocon Vert » à des stations de ski écolos lors de la « deuxième biennale du développement durable en montagne », afin de « nous permettre de choisir notre destination touristique de montagne sur des critères de développement durable ».
Dans des cercles plus fermés, il faudra prévoir le lavage de cerveau pour l’avenir. Dans un « workshop d’experts non ouvert au grand public – Jeunesse et montagne : Innovations et visions pour les Alpes de 2050 », on entreprendra l’ « élaboration d’un projet transalpin dans le secteur de la communication ayant un impact important pour la jeunesse et leur identification avec les enjeux de la montagne alpine. » D’ailleurs durant cette « année de la montagne », les plus jeunes ne seront pas épargnés, avec leur lot d’expositions et ateliers pédagogiques, de la Galerie Eurêka au Centre de Culture Scientifique et Technique. C’est que plus on commence tôt, plus la propagande est efficace.
Si nos communicants s’inquiètent tant d’ « être au service des montagnes », c’est bien parce que les industriels de la montagne craignent pour leurs retours sur investissements (le tourisme en Rhône-Alpes représente une manne de plus de 10 milliards d’euros par an selon la Chambre de Commerce et d’Industrie, et plus de 230 millions d’euros ont été investis dans les stations de ski en 2006, dont 100 millions d’euros de remontées mécaniques). Ils se demandent comment continuer à faire du profit si le nombre de touristes venant s’entasser sur les pistes diminuait. S’il faut pour cela proposer une industrie du tourisme bio, éthique, et durable, les « décideurs » le décident, et nous l’annoncent avec grandiloquence lors d’une pathétique « année montagne ». C’est ce qu’on appelle le « greenwashing », ou les balivernes d’un capitalisme vert.
   Le numéro 27 du journal de la Région Rhône-Alpes a pour titre « Vivre là-haut » et propose en couverture la photo d’une famille souriante au coeur du massif verdoyant de Chartreuse. Tout le numéro est consacré à encenser la place de la montagne dans notre belle région. Jean-Jacques Queyranne, Président de la Région et promoteur de longue date du Lyon – Turin, nous accueille avec un édito intitulé « Montagne : attention, fragile… ». Il écrit : « La montagne, fragile, doit être aussi le lieu de développement des modes de transports alternatifs à la voiture et aux camions, trop nombreux à polluer les vallées alpines ». A quels modes de transports pense-t-il ? La montgolfière ? Les patins à roulettes ? On pense au train bien sûr, mais venant de quelqu’un qui laisse mourir nombre de petites lignes, notamment en montagne, il s’agit d’un plaidoyer mal déguisé pour le Lyon – Turin.
Plus loin dans le même journal, on apprend que « les usines à ski c’est fini ». Il suffit pourtant de tourner deux pages pour lire un article de promotion d’une entreprise de dameuses, puis du « cluster montagne », un organisme « très présent sur le marché chinois », qui vise à « Accompagner et promouvoir, en France et dans le monde, les acteurs français de l’aménagement en montagne » ; autrement dit le lobby des industriels de la montagne (le fabricant de remontées mécaniques « Poma » y figure en bonne place). Ce n’est ni la première, ni la dernière des contradictions fièrement assumées dans cette feuille de chou.
La mascarade continue avec une double page sur l’agriculture, barrée du gros titre « Les agriculteurs, piliers de la montagne ». Un article commence par ces quelques mots « Vivre et travailler au pays… » qui ne sont autres qu’un slogan de la Confédération Paysanne dans les années 70. Quand on sait que le Lyon – Turin supprimerait des centaines d’hectares de terres agricoles et constituerait une infrastructure de plus permettant de délocaliser et de mettre les travailleurs en concurrence, on imagine que les paysans apprécient moyennement la récupération.
Puis Michel Grégoire, « vice-président délégué à l’agriculture et au développement rural » affirme sans rire que « l’un des enjeux de demain consiste à encourager l’agriculture à être écologiquement intensive ».
Plus loin encore, Gérard Leras, « conseiller spécial délégué à la politique foncière », membre d’Europe Ecologie Les Verts, et qui a pendant des années poussé son parti à soutenir le Lyon – Turin en tant que projet écologique, parle dans le langage des technocrates, fait d’acronymes menaçants : SCOT, PLU, EPFL, SAFER… Une chose est sûre : lui-aussi s’y connaît en « écologiquement intensif ». Et il est difficile de ne pas rire jaune quand celui qui gère la politique foncière de la Région (et qui assumait le dépôt de 3 millions de mètres cubes de déblais au bord de la petite rivière de l’Arc sur la commune de Villarodin-Bourget ainsi que le sacrifice d’une zone humide pour y fabriquer le béton du tunnel du Lyon-Turin), nous explique aujourd’hui que « l’écosystème est fragile ».
 
  Pour conclure sur cette double opération de communication assez grossière, on peut s’étonner que ni la ville de Chambéry ni la Région Rhône-Alpes n’aient entrepris de parler du Lyon – Turin dans leurs déclarations d’amour aux montagnes. C’est probablement parce qu’il serait difficile d’expliquer le lien entre ce projet dévastateur et la protection minutieuse des massifs qu’on nous dépeint. Il n’y a jamais eu, il n’y a pas et il n’y aura jamais de TGV « écologique », tout comme une vie dans les Alpes se basant sur le développement – fût-il « durable » – du capitalisme, est une impasse suicidaire. Puissent Claude Comet, « conseillère déléguée au tourisme et à la montagne » et Gérard Leras, tous deux membres d’EELV, mais aussi tous leur collègues, entendre raison sur ce point.
Les Alpes ressemblent de plus en plus à des corridors pour les marchandises, pollués jusqu’aux racines, mités de lotissements et de stations, qui correspondent assez peu aux images idylliques que nous offrent les institutions. Nous ne voulons pas de vallées transformées par des experts en « aménagement du territoire » car nous voyons chaque jour l’étendue de leurs méfaits. Nous voulons des montagnes modelées avec humilité par celles et ceux qui les habitent.
NO TAV Savoie, comité de Chambéry
mars 2013
 
 
Toutes les citations sont tirées du site internet http://lumieresur.chambery.fr et du numéro 27 du journal d’information de la Région Rhône-Alpes, hiver 2012.
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