Réflexions sur les luttes contre les grands travaux

Des acteurs-trices engagés dans les luttes contre des grands chantiers (construction d’une LGV au Pays Basque sud, projet d’aéroport à notre Dame des Landes -NDDL, mise en place d’une ligne THT Cotentin-Mayenne) se sont retrouvés cet été, aux rencontres d’Eychenat (Ariège) organisées par l’OCL-OLS.

Il s’agissait d’échanger des informations et des analyses sur chacun de ces combats, d’analyser leurs forces et leurs faiblesses et de voir comment contribuer à renforcer les dynamiques engagées.

L’objet de cet article n’est pas de présenter les caractéristiques de ces différents chantiers ni les spécificités des luttes qui s’y opposent. De nombreux articles de Courant alternatif leur ont été, leur sont et leur seront consacrés et nous vous invitons à vous y référer [1].

Il s’agit ici plutôt de rendre compte de quelques questionnements et analyses que nous avons échangés au cours de ces rencontres.

Une politique de métropolisation

« Grands Travaux Inutiles Imposés » – GTII-, cette expression convient-elle pour désigner ces chantiers ? En fait, elle apparaît comme un label déposé que des mouvements institutionnels de gauche comme ATTAC, le Front de gauche ou certains Verts ont collé sur ces grands chantiers. Mais, inutiles à qui ? L’adjectif sans autre précision n’a pas beaucoup de sens. Il serait plus adéquat de dire que ces travaux sont socialement inutiles, pire, nuisibles et destructeurs, et imposés aux populations par le mensonge et par la force. Tous ces grands chantiers en projet ou en cours portent en commun un même modèle de développement. Ils s’inscrivent dans une dynamique de métropolisation, par l’accroissement de la densification de l’habitat, par la mise en place de plans de rénovation urbaine, par le développement des nouvelles Industries Culturelles et Créatives (ICC) ; ils relèvent d’une politique d’aménagement du territoire visant à la concentration des richesses, à l’intensification de leur circulation d’un grand pôle à un autre. Ces pôles urbains sont mis en concurrence entre eux. Les terres ne sont plus qu’un lieu de passage, un espace à détruire ou bien à transformer en ressource touristique et de récréation.

Pour tenter de se faire accepter, ces projets se parent parfois de l’image d’un capitalisme vert, d’un développement dit durable, alors qu’ils ont des conséquences désastreuses sur l’environnement, des impacts très néfastes et destructeurs sur les plans économiques, sociaux, culturels.

C’est ce que dénoncent ceux-celles qui s’y opposent en remettant en cause à la fois le modèle de société et de développement que ces grands chantiers impliquent et la façon dont ils sont décidés, leur gestion politique, puisqu’ils sont imposés aux populations contre leur gré.

Institutionnels légalistes et partisans de l’action directe

Les luttes contre ces chantiers ont des caractéristiques communes. En particulier, s’y côtoient, dans des relations plus ou moins conflictuelles, des acteurs très différents : des institutionnels (élus, partis, syndicats, associations, ONG) porteurs d’une vision citoyenniste [2] prônant seulement des actions légalistes ainsi que, parfois, des pseudo alternatives ; et des composantes favorables à des actions directes, qui replacent l’aménagement du territoire dans le contexte d’une contestation globale du système (critique du développementisme, défense de la terre, remise en cause du modèle économique et social, dénonciation de l’éco-capitalisme), cherchent à promouvoir des formes d’auto-organisation et de type assembléaire et prônent un type de société radicalement autre.

Si la présence de ces deux composantes entraîne des clivages, il peut y avoir une certaine porosité entre elles.

La question du coût

Que signifient ces grands travaux à un moment où le capitalisme est confronté à une crise de rentabilité et de sa propre reproduction ? Seraient-ils une tentative de réponse d’une fraction du capital pour rebondir malgré l’impasse économique actuelle ?

Une des failles ou des contradictions dans la réalisation des grands chantiers semble être que, avec la crise des finances publiques et la réduction drastique des budgets, les Etats européens, les régions et l’UE ne peuvent pas se permettre de dépenser des tonnes de fric dans de nombreux gros projets mis en concurrence.

Beaucoup des grands chantiers ont été conçus il y a plusieurs années et reposaient sur une dynamique de croissance alors importante ; depuis quelque temps l’Europe est entrée dans une autre période. Tous les grands travaux prévus ne vont sans doute pas se faire, du moins dans les délais envisagés.
Des hauts responsables eux-mêmes en arrivent à émettre des contre-arguments ; c’est par exemple le cas de Pépy, patron de la SNCF, qui expliquait récemment que le développement du TGV et des LGV plombait complètement les comptes et, à terme, la viabilité économique de l’entreprise. Quand on parle du TGV dans le Val di Susa ou de l’EPR à Flamanville, on entend dire que si cela coûte trop cher, peut-être que… En tout cas, si certains projets sont abandonnés par leurs promoteurs, ce n’est pas le modèle de développement dont ils sont porteurs qui sera mis en doute. Mais s’il est décidé que, pour l’impérialisme européen, la LGV Lyon-Turin doit se faire, le rapport critique de la Cour des comptes n’aura eu la valeur que d’une simple mise en garde…

Les logiques étatiques et même régionales pèsent fortement dans la compétition généralisée entre les zones et les pôles pour que la phase actuelle des grands travaux soit menée à bien. Ces logiques suivent celle de l’aménagement territorial voulu par le capitalisme européen qui, en guerre économique avec l’Asie, les Etats-Unis et des pays émergents, cherche à s’affirmer par ces projets d’infrastructures. La dimension prise par les grands chantiers est mondiale, c’est ce modèle de développement destructeur et nuisible qui est pensé et imposé partout sur la planète par l’élite dirigeante.
La logique du capitalisme n’étant pas à 100% rationnelle, il est difficile de conclure sur la façon dont il évalue la rentabilité de ces grands travaux et de savoir si les difficultés des finances publiques d’aujourd’hui vont avoir des conséquences sur l’avenir proche des chantiers. En effet, si la philosophie des Etats et de l’UE est de mêler financements publics et privés (PPP), les financeurs privés ne mettront pas la main au porte-monnaie si cela ne leur rapporte pas et les financeurs publics coopéreront difficilement vu la crise du financement de l’Etat et des collectivités ; même aux yeux de Rousset, président PS de la région Aquitaine et fervent défenseur d’une LGV Bordeaux-Hendaye destinée à être financée par les partenariats public-privé, ceux-ci apparaissent à présent comme des « bombes à retardement » budgétaire qui font la part belle aux grands groupes du BTP et rendent « impotentes » les collectivités.

En tout cas, si le coût des grands travaux constitue un point faible capable peut-être de remettre en cause la réalisation de certains d’entre eux, il ne semble pas que l’argument des sommes faramineuses qui leur sont consacrées, alors que les coupes sociales sont de plus en plus importantes, aide à renforcer la mobilisation, du moins au Pays Basque sud pour ce qui est du TGV ; peut-être parce que, dans ce nouveau contexte des conséquences de la crise, ces thèmes des grands chantiers sont relégués derrière les autres questions sociales.

Un double enjeu pour le capitalisme

Au-delà de savoir si un projet est utile ou inutile en terme de bénéfice social ou même de rentabilité pour le capitalisme, ce qu’on voit à l’œuvre c’est une logique d’organisation de l’espace, de contrôle et de dépossession.
ll y a en effet un double enjeu derrière ces grands travaux : structurer un grand espace européen offrant de nouvelles conditions pour la profitabilité du capitalisme, où le libre jeu de la rentabilité peut s’installer sans limite ; et domestiquer et homogénéiser les populations, détruire les résistances locales, diluer les particularismes culturels… La raison d’être de l’industrie et des grands travaux quels qu’ils soient, c’est certes de répondre à des besoins façonnés mais c’est aussi d’asseoir un rapport social de domination, qui n’est pas lié en totalité à la finalité économique et financière. La vie entière des gens est surdéterminée par ces infrastructures. Ils doivent vivre, penser, rêver de la même manière partout sur la planète. De ce point de vue, ces projets sont une attaque directe contre les gens, leur mode de vie, leur culture, tout ce qui les soude entre eux, et leur permet justement d’entreprendre des luttes collectives.

Face à cette agression, la logique de ceux-celles qui luttent, c’est celle de leurs vies : ils-elles n’acceptent pas que l’on dispose de leurs vies et modes de vie. Et par la lutte, ils-elles se réapproprient la décision sur ce qu’ils-elles veulent et ne veulent pas.

Si certaines luttes contre les grands chantiers ont gagné force et impact débordant largement le cadre local, dans des lieux comme Nantes, le Pays Basque, le Val di Susa, c’est qu’elles naissent et se renforcent sur le terreau local d’une culture politique et sociale riche et active, c’est qu’elles perçoivent l’écho d’autres luttes simultanées ou sont nourries des expériences et de la mémoire de luttes précédentes.

Ainsi, la force du combat du Val di Susa vient de ce que, au début, il s’est appuyé sur un sentiment d’appartenance des gens de la vallée, avec une culture de lutte et de résistance, et un degré d’affrontement qui s’est joué sur des bases très claires : « non au TGV, ce chantier ne se fera pas », avec des méthodes d’action diversifiées, dont des formes radicales prises en charges et assumées par l’ensemble de la communauté en lutte qui s’est auto-désignée comme le « peuple NoTAV ». Et ce combat s’est diffusé à Turin, à Milan, à Bologne, etc., et au-delà des frontières. En Italie, la lutte du Val di Susa est devenue au cours des dernières années, dans le contexte du berluscolisme et du reflux considérable des conflits ouvriers et sociaux en général, le symbole de la résistance collective, de la rébellion populaire et dans tout le pays, des centaines de milliers de personnes se reconnaissent et s’identifient à ce combat. De plus, des lieux de rassemblement, de rencontres et de débats régulièrement mis en place dans toute la Vallée ont permis à la lutte d’avoir ce caractère ouvert et solidaire.

Or, cette référence communautaire, ces repères collectifs, ces visions solidaires, ces projets en commun ont tendance à disparaître dans la société capitaliste. Une des conséquences du développement des flux pour les besoins du capital, c’est de nous séparer de notre passé, de nous couper de nos références, de nous individualiser et de nous isoler, ce qui rend plus difficile que les gens s’agrègent pour lutter ensemble. Nous sommes ainsi plus atomisés et plus fragilisés, et en particulier à la merci de toutes les répressions.

Faiblesses et difficultés

Les luttes contre les grands travaux s’opposent à des forces très puissantes, pouvoirs publics, multinationales, idéologie du progrès, car même si le développementisme et le productivisme sont de plus en plus remis en cause, les idées de progrès et de modernité, présentées comme porteuses d’emploi, d’activité et de richesses, restent malgré tout des signes d’adhésion à cette société….. Les chantiers sont multiples, cohérents entre eux, et sont menés de front, s’ajoutant les uns aux autres ; et comme nous ne pouvons pas faire face à tous, nous dirigeons nos forces contre celui qui nous semble important ou le plus scandaleux. Par exemple, nous disaient les camarades basques cet été, nous luttons contre le TGV, mais nous nous trouvons encerclés par d’autres projets, un super-port de commerce, des autoroutes, l’exploitation du gaz de schiste… et tout est fait pour que les choses semblent inéluctables. Dans tous les cas, il y aura quelques endroits avec des résistances et beaucoup d’autres sans aucune opposition : donc, les victoires que l’on peut obtenir ne peuvent être que partielles, ce qui peut expliquer cette impression un peu pessimiste d’être encerclés.

Un autre problème qui rend difficile la mobilisation est que ces luttes doivent commencer très en amont, à un moment où les projets sont au stade de la conception et apparaissent encore abstraits pour la population. Face au silence et aux mensonges des promoteurs de ces projets, il y a un énorme travail à faire pour chercher l’information, la diffuser, pour expliquer, analyser les causes, les conséquences …. Cela donne un côté un peu intellectuel à la lutte contre un projet qui est encore à l’état virtuel. Il n’empêche que l’action commence bien avant les travaux. Ce sur quoi il faut réfléchir, c’est comment intervenir à chaque étape du projet (que ce soit au cours de son élaboration, pendant les travaux préliminaires, lors de la phase d’acceptation sociale avec les enquêtes publiques… ) soit pour parvenir à l’empêcher à ce stade, soit pour préparer une mobilisation importante pour le moment où le chantier démarre effectivement.

Une difficulté encore, mentionnée par les militant-es contre le TGV au Pays Basque, c’est la tendance au ‟délégationnisme”, comme on dit de l’autre côté des Pyrénées. Même si l’opinion est très hostile au TGV et si les débats à propos des grands chantiers ont imprégné toute la société, passer à une implication active dans la lutte, à des actions de désobéissance, c’est une autre chose ; de même que maintenir une mobilisation dans la durée en évitant essoufflement voire découragement. Les luttes contre les grands chantiers sont en général très longues et les gens ont tendance à s’en remettre aux individus, groupes ou associations qui s’investissent dans l’opposition avec détermination et persévérance.

De plus, partout où ces projets rencontrent de la résistance, ils sont imposés par la force et par la violence, avec pour conséquences d’affaiblir les acteurs-trices de la lutte, de démobiliser, de diviser, de faire peur, de faire dépenser du temps et de l’énergie dans des procès et des mobilisations antirépressives et défensives. Quand la zone devient militarisée, que le chantier est défendu par des troupes armées, on ne peut plus agir sans un mouvement de masse qui s’impose par le nombre. Et quand des travaux ont commencé, que des tronçons du chantier sont en cours de réalisation, cela a un indéniable impact psychologique démobilisateur, y compris chez les plus militant-es. Aujourd’hui, pour le TGV basque (sud), il reste encore 70% du budget à dépenser pour les travaux, mais les dégâts sont déjà énormes.

En fait, la faiblesse principale est l’absence d’un mouvement massif et populaire. Se côtoient, en se tolérant plus ou moins bien, des groupes institutionnels, très organisés et puissants, d’autres personnes qui sont sur des bases antiautoritaires ou d’écologie radicale, et, comme à NDDL, le mouvement des occupants, mais la conjonction de ces forces ne débouche pas forcément sur une alchimie capable de susciter des mobilisations de masse comme au Val di Susa, pouvant rassembler 60 ou 80 000 personnes pour entraver les travaux… La difficulté est de créer et de maintenir une communauté d’action pertinente pour avancer, avec des acteurs différents mais qui partagent le même objectif, et qui se montrent solidaires parce que leurs modes d’action ne sont pas antagonistes mais complémentaires. Parfois, la diversité, l’hétérogénéité peuvent donner beaucoup de force au mouvement. C’était le cas à la manifestation du 24 mars, à Nantes, quand il y avait à la fois la force de frappe de la Confédération paysanne avec l’arrivée des tracteurs, plus le cortège des gens qui s’étaient organisés pour mener des actions, plus la masse des manifestants. La manifestation de réoccupation mobilisant 40 000 personnes le 17 novembre est à cet égard encore plus exemplaire. C’est aussi un signe de force du mouvement, au Val di Susa, quand les forces institutionnelles défilent en portant des flambeaux et des banderoles « Nous sommes tous des Black Blocs » pendant que d’autres s’affrontent avec la police.

Comment contribuer au renforcement des luttes ?

En fonction de ce que les acteurs sur le terrain décident et des appels qu’ils font, il est important de se rendre sur place, d’apporter son soutien pour renforcer une action, une manifestation, pour concentrer des forces sur une échéance importante, pour bloquer une étape précise d’un projet et pour peser, y compris politiquement… Quand une lutte est fortement engagée, qu’elle a une grande incidence sur la société, elle peut devenir un lieu de rencontres, d’échanges entre différents combats. Ceci aussi bien au niveau d’une même région qu’à celui d’un pays et de l’Europe. Ainsi, dans la mesure où l’opposition au TGV a été une référence importante au Pays Basque, des discussions, des liens et des campagnes communes ont pu se faire à l’échelle des provinces (Guipuzcoa, Biscaye, Navarre) avec les acteurs d’autres luttes : incinérateurs, super-port, autoroute, etc.. Mais, c’est difficile car chaque lutte a ses propres rythmes, ses propres exigences, sa propre dynamique… Des questions tactiques, de priorité par exemple, se posent, difficiles à trancher parfois : faut-il concentrer des forces à un moment donné sur une action un peu centrale ou continuer à multiplier les actions locales, par exemple ?
La lutte de NDDL apparaît aujourd’hui très emblématique. Le fait que Jean-Marc Ayrault soit premier ministre n’y est pas étranger. Le grand aménageur de la métropole nantaise (projets culturels, aéroport, rénovation urbaine…) personnifie en partie l’enjeu et peut contribuer à porter l’écho de la lutte bien au-delà des 2000 hectares impactés par le projet.

La vaste opération militaire « César » contre les occupant-es de la ZAD, déclenchée le 16 octobre dernier, a suscité de nombreuses réactions, donnant une ampleur nouvelle à la lutte. Messages de soutien, rassemblements et actions de solidarité se multiplient en France et dans d’autres pays. Partout des comités de soutien se constituent. La manifestation de réoccupation du 17 novembre, pour reconstruire un lieu de lutte sur la zone, a représenté un test important. En dépassant largement les enjeux locaux, NDDL et la ZAD (rebaptisées respectivement Notre Dame des Colères et Zone à défendre) sont devenus des symboles et la lutte contre le projet d’aéroport apparaît gagnable, pour peu, comme il est dit dans l’article de Courant alternatif de novembre, que « la résistance s’élargisse durablement, se renforce en pertinence et ne se laisse pas instrumentaliser par les forces institutionnelles. »

On sait que la victoire sur un site peut être obtenue quand il y a à la fois le rapport de force et des failles dans ce que l’on combat. A NDDL, et sans doute aussi dans le Val di Susa, ces conditions semblent rassemblées. Ces contradictions internes au camp d’en face, ces failles, ces éléments conjoncturels, d’ordre ‟tactique”, ne sont pas à négliger dans le cadre d’une lutte et d’un rapport de force toujours très précaire et difficile, mais à condition que l’orientation générale de celle-ci, la richesse de ses pratiques et des éléments critiques qu’elle contient n’en dépendent pas ou ne se voient effacées car ce sont elles qui donnent un caractère ouvert et fédérateur à la lutte.
Faire le lien entre les luttes contre les projets de TGV, d’aéroports, de tous les chantiers destructeurs, est essentiel : cela permet d’une part de rendre bien visibles les enjeux qui se situent au-delà de chaque projet spécifique et de chaque combat local et d’autre part de faire prendre conscience du modèle de planification territoriale et de société contre lequel il s’agit de lutter.
Si nous ne voulons pas laisser les organisations institutionnelles, qui prennent le pouvoir aux dépens des luttes, monopoliser les liaisons entre les différents fronts de lutte en Europe et dans le monde, il est important que ceux-celles qui se battent radicalement contre ces grands chantiers destructeurs tissent eux-mêmes des liens entre eux-elles à une échelle intra et extra-européenne.
Une tâche importante, c’est de faire un travail de coordination inter-luttes, ou au moins une circulation des informations. Cela pourrait prendre plusieurs formes.

  •  Bulletin, modeste, de liaison inter-luttes qui parle des combats locaux contre ces grands (et moins grands) chantiers qui tous procèdent de la même logique de dépossession des gens de leur territoire et de leur vie. Bulletin qui ferait ressortir les traits et les axes communs, les différences aussi, qui permettrait d’échanger sur les questions qui nous préoccupent, de mieux comprendre la logique capitaliste à l’œuvre dans ces tentatives pour intensifier l’urbanisation du territoire, de se renforcer mutuellement, de s’organiser pour programmer les rencontres à venir…
  •  Rencontres plus ou moins régulières, en profitant des échéances de mobilisation dans telle ou telle région pour organiser une coordination de collectifs. Cela se faisait dans d’autres luttes et mouvements, l’essentiel étant d’éviter la bureaucratisation en créant des « structures » détachées des rythmes et des besoins de la lutte, des mobilisations.
  •  Outils Internet permettant de partager et diffuser rapidement informations et analyses sur diverses situations, les bilans des collectifs, les débats, les éventuelles divergences, etc. Ils ont généralement vocation à porter des informations et analyses et à relayer les appels à se mobiliser. Ils peuvent tout aussi bien être des supports d’échanges entre collectifs de lutte, avec synthèses de situations, bilans, analyses, propositions, comptes-rendus de réunions et d’assemblées décisionnelles ou de débat.

Mais les coordinations inter-luttes ne dépendent pas seulement des outils mis en place et d’aspects formels ou organisationnels : elles dépendent des luttes elles-mêmes, de leur intensité, de leur ouverture, de leur autonomie, de la richesse des contenus qu’elles portent et mettent en discussion, de leur capacité à tisser de nouveaux liens et modes de rencontres en fonction des besoins qu’elles expriment.
Les luttes que l’on connaît comme celles du Val di Susa, de l’aéroport de NDDL, contre la ligne THT Cotentin-Maine, ont montré l’importance de la création d’espaces et de lieux ouverts (les « presidi » No TAV, les maisons et locaux occupés dans la ZAD, le château d’eau et le bois occupés sur le territoire de la commune du Chefresne, ou encore les week-ends de mobilisation et de débats, les camps d’été permettant moments de rencontre et d’échanges et journées de mobilisation et de dénonciation…) dans une continuité d’actions et de présence sur place. Ce qui permet d’en faire des moyens de soutien, d’agrégation, ouverts aux populations locales (afin de maintenir le lien, un contact, entre ceux-celles qui luttent au quotidien et ceux-celles qui ne peuvent que venir ponctuellement), mais aussi des lieux d’information, d’échanges et de coordination entre luttes se situant dans des perspectives proches (contre un projet de centrale à gaz en Bretagne, contre le projet de grand stade OL Land à Lyon, contre le doublement d’une ligne THT dans le Pas-de-Calais, contre le centre d’enfouissement de déchets nucléaires de Bure…) et d’autres luttes de résistance urbaines et rurales autour de la réappropriation de terres, de lieux de vie, d’habitat et d’activités.

Le préalable à toute coordination, c’est finalement le sentiment que les luttes ne peuvent compter que sur elles-mêmes, leurs solidarités réciproques, leur capacité à additionner leurs forces et à se renforcer mutuellement, en particulier dans les moments critiques ou décisifs. Ces liaisons directes de luttes à luttes, ces coordinations horizontales, ces recherches de multiples points de connexion, définissent aussi une démarche politique, une manière de se positionner dans un contexte. Et là, cette démarche n’a pas que des amis et des supporters. Elle se heurte à tous ceux qui ont intérêt à la fragmentation des luttes, au saucissonnage des problématiques et des revendications parce qu’elle leur permet d’exister et de prospérer en occupant ces places et fonctions d’intermédiaires professionnels, de porte-paroles auto-proclamés, de représentants permanents, de direction politique, de médiateurs avec les instances du pouvoir politique. La richesse des contenus portés par les luttes et les manières de se battre et de tisser des liens sont eux-mêmes des enjeux et des éléments du combat.

Le 18 novembre 2012

 

Originellement publié sur le site de l’OCL

 

Notes

[1] Entre deux numéros de Courant Alternatif, nous essayons d’assurer un suivi en publiant informations, commentaires et points du vue sur notre site Internet : oclibertaire.free.fr/

Une partie plus informative et historique a déjà été publiée sur ce site : Présentation de trois grands chantiers : TGV Pays Basque, Aéroport NDDL, THT Cotentin-Mayenne. Voir ici

[2] Citoyennisme : Ensemble de positions politiques qui définissent la pensée républicaine des droits du citoyen comme le cadre indépassable de l’agir politique.
D’un côté, le citoyennisme porte une idée générale de l’égalité des droits, de l’autre il reproduit les illusions sur les institutions politiques et juridiques de l’Etat qu’il investit de cette garantie d’égalité et de neutralité. Ce faisant, il masque ou légitime le caractère indépassable des inégalités et de la domination dans le cadre de la société capitaliste et de la démocratie étatiste et « représentative » (oligarchie), dans laquelle le droit, les lois, la justice constituent l’ensemble des mécanismes organisant des espaces de liberté pour les catégories ou classes sociales aux intérêts contradictoires et antagonistes : où dans les faits, les ‟droits” des dominés et des exploités signent en même temps leur obligation de ne pas sortir de leurs place et fonctions et de ne pas perturber l’ordre social dont l’État soi-disant neutre est le défenseur au nom d’un supposé « intérêt général ».
Le citoyennisme, ou républicanisme, a été historiquement, et par excellence, le cadre politique du consensus social et national de l’époque moderne puisqu’il vise, et parvient le plus souvent, à faire tenir ensemble les idéaux égalitaires et la société inégalitaire.

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Une réponse à Réflexions sur les luttes contre les grands travaux

  1. Grégory dit :

    Article intéressant. Pour ma part, je suis plus engagé sur les chantiers relatifs au gaz de schiste, cette nouvelle « lubie » étant un risque de nouvelle crise économique vu que les compagnies s’endettent pour un exploitation trop vite épuisée.

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