Un travail de communicant
L’association « La Transalpine » est le lobby des soutiens du Lyon-Turin, qui regroupe depuis 1991 grandes entreprises, élus et technocrates, avec pour seul objectif de faire avancer le plus vite possible ce grand projet mégalo.
Dans un e-mail de l’automne 2013, La Transalpine diffusait un document de 26 pages intitulé « Plateforme d’argumentaires et d’éléments de langage – chantier ferroviaire du Lyon – Turin » (1). Son but : fournir aux partisans du projet des réponses toutes faites à réciter aux médias ou aux sceptiques, afin de contrer les arguments des opposant.e.s qui deviennent un peu trop nombreux et solides. Le procédé est rôdé : que ce soit pour les nanotechnologies (2), les autoroutes (3) ou tout autre développement destructeur du capitalisme, on retrouve les même entourloupes fournies par des agences de com’ grassement payées.
Ce contre-argumentaire est signé Pierre-Jérôme Hénin : un communicant professionnel qui a travaillé entre autres comme directeur de publicité à RFI, journaliste chez « Voici » et « l’Essentiel du Management », directeur-conseil pour la communication institutionnelle et les affaires publiques chez Publicis Consultants, chargé de communication pour divers ministres et institutions, porte-parole adjoint de Nicolas Sarkozy en 2007, avant de fonder sa boîte de communication « media9 » en 2009. Pour nous manger le cerveau, il s’y connaît.
Saviez-vous que c’est l’argent public qui contribue à payer ce cher Pierre-Jérôme ? En effet, le Conseil Régional Rhône-Alpes finance depuis des années La Transalpine à hauteur de 113 000 euros par an, soit près d’un quart du budget de ce lobby pro-TAV, auxquels il faut ajouter la mise à disposition de locaux et d’un cadre territorial (4). Tout cela n’est finalement qu’un avant-goût de ce qu’est en réalité le Lyon – Turin : un détournement de dizaines de milliards d’euros publics, pour des intérêts privés.
Comme c’est pour nous un honneur qu’un communicant aussi chevronné se soit penché sur nos arguments, nous vous donnons ici une lecture approfondie de son travail. Voici donc quelques-uns des mensonges qui s’y enchaînent, suivant la règle éprouvée de « plus c’est gros, mieux ça passe ». On peut les regrouper en trois grandes catégories : prophéties, entourloupes, et mauvaise foi. Bienvenue au pays de la « novlangue » destinée à défendre l’indéfendable, y compris, si vous êtes un lobbyiste pressé, « le temps d’un trajet d’ascenseur ».
Les prophéties : demain, tout le monde prendra le train.
– Pour celles et ceux qui douteraient encore d’un avenir radieux, sachez qu’« un million de camions préféreront le train à la route. » (p.8) et que par conséquent « l’air respiré sera meilleur (700 000 tonnes de CO2 en moins) » (p.10). On se demande bien pourquoi, tant on sait que les logiques de développement du train et des camions avancent main dans la main. Le technocrate Patrice Raulin n’était-il pas récemment président de Lyon Turin Ferroviaire ET de la Société Française du Tunnel Routier du Fréjus ?
– « [Le Lyon – Turin] facilitera le tourisme de montagne en rapprochant les stations de sports d’hiver de la clientèle française et étrangère » (p.7) qui « faute de LGV performante, n’ont d’autre choix que de prendre la route ou l’avion » (p. 20). Mais au fait, en sortant du TGV (et sous réserve que le train s’arrête en Maurienne), les nouveaux touristes ainsi attirés monteront-ils en vélo dans les grandes stations savoyardes ? Ajoutons que ces stations représentent un certain type de tourisme, huppé, énergivore et destructeur des milieux montagnards. Les vacances au ski des patrons européens sont-elles si importantes ?
– Pressons-nous tout de même de transpercer la montagne, car « les autres ne vont pas nous attendre, et ils ne nous attendent pas ». Palme d’or du bon sens et de la morale, l’argument massue de la compétition internationale semble être devenu le passage obligé de tout projet nuisible. Si nous ne perçons pas nous aussi notre grand tunnel, nous aurons l’air ridicules dans la grande guerre économique. Une logique implacable, d’autant que la privatisation des LGV européennes est prévue pour 2019. Travaux effectués avec l’argent public, bénéfices privés.
– Enfin, d’un énième coup de baguette magique, « les transports ferrés du quotidien seront plus performants (fréquence quotidienne et régularité des services TER grâce au report du fret et tgv vers la ligne nouvelle) » (p.10). Cela constituerait donc une notable exception puisqu’on sait que jusqu’à présent toutes les lignes à grande vitesse ont eu pour effet de désertifier les territoires traversés. C’est ce qu’on appelle l’« effet tunnel », qui porte si bien son nom.
Les entourloupes : un projet écologique et peu coûteux.
– Eternel.le.s insatisfait.e.s, soyez rassuré.e.s : le Lyon – Turin est avant tout un projet qui vise « la sauvegarde de l’environnement » (p.19). Il va même « dans le sens de la relocalisation des économies » (p.16). Pour rappel, ce projet nous est aussi vendu comme faisant partie intégrante du « corridor 5 », ce grand couloir de transport de marchandises qui relie… Lisbonne (Portugal) à Kiev (Ukraine). Drôle de relocalisation.
– L’écologie appliquée : « capter les flux de marchandises », « développement industriel », « défi », « compétitivité », « concurrentiel », « performance », « investissement », « nos entreprises » sont les termes qui reviennent le plus souvent. On se croirait à l’université d’été du Medef. Mais faites-leur confiance, « l’air respiré sera meilleur » (p.10).
– On apprend enfin que le Lyon – Turin n’est « pas un TGV », mais « une ligne à grande vitesse qui servira à 80 % aux transports de marchandises » (p.20). Hum, un TGV, donc. De toutes façons, quelle différence pour les riverains qui subiront 20 ans de travaux et pour un environnement à jamais dévasté ? Le volet « marchandises » du projet n’a d’ailleurs été ajouté qu’en cours de route, apportant une bonne couche de vernis écologique malodorant.
– Au coût exorbitant du projet dans sa globalité avancé par les opposants et la Cour des comptes (26 milliards d’euros actuellement) pour souligner l’inanité d’une telle dépense, on peut opposer que « le coût du tunnel pour le France sera de 2,1 milliards sur 10 ans ». Fort bien. Les camarades italien.ne.s rappellent à toute fin utile qu’1km de Lyon – Turin équivaut à la construction de 1000 logements sociaux. Mais ce projet serait gratuit que nous n’en voudrions pas non plus.
La mauvaise foi : ridiculiser les opposant.e.s.
– Esprits obtus, sachez-le : le Lyon – Turin n’est pas un projet imposé. Regardez en Italie, où « une vaste procédure (…) a permis d’aplanir nombre de malentendus. ». Pas un mot sur le mouvement de lutte massif qui anime le Val Susa depuis 20 ans, les manifestations de dizaines de milliers de personnes, ni sur la répression féroce que subit le mouvement NO TAV en Italie (occupation militaire, violences policières, emprisonnements…).
– Les opposant.e.s sont comme d’habitude divisé.e.s en deux catégories. Les gentils : « Les recours contre les Déclarations d’Utilité Publique constituent une pratique régulière et classique. » Et les méchants : « C’est en tout cas mieux que de pratiquer la violence en caillassant les ouvriers et en incendiant les baraques de chantier. »(p.24). Pourtant, les plus violents dans le Val Susa, ce sont bien les policiers : de nombreuses photos et vidéos les montrent en train de jeter des pierres sur les manifestant.e.s depuis un viaduc ou de leur tirer des grenades lacrymogènes à tir tendu et à hauteur de visage, sans parler des passages à tabac et attouchements sexuels sur les interpellées.
– Enfin, si on ne construit pas le Lyon – Turin, « la ligne existante et le contournement de Chambéry seraient vité saturés ; sans compter l’augmentation des nuisances sonores pour les riverains. Est-ce cela que souhaitent les opposants ? ». Ah, on nous convoque ! Si nous voulons l’abandon pur et simple du Lyon – Turin, ce n’est évidemment pas pour allonger « le terrible bilan » des accidents de la route, en ricanant depuis le bas-côté, un couteau entre les dents. C’est justement parce nous sommes contre les nuisances propres au développement économique, quelles qu’elles soient et où qu’elles soient, et leur suppression à la source, que nous nous battons contre le Lyon – Turin.
Conclusion
Soyons tout de même bons joueurs ; nous avons quelques points d’accord avec Pierre-Jérôme Hénin. « Plus qu’une voie de chemin de fer, [le Lyon -Turin] constitue un véritable projet de société. » (p.5). C’est tout à fait vrai. Ce projet de société, c’est un monde dévasté, saturé de marchandises et de gens pressés, où tout doit aller vite, un monde incompréhensible, qui n’a pas de sens. Ce monde mortifère auquel le mouvement NO TAV s’oppose, La Transalpine le voit comme une simple source de profits à ne pas louper. Alors, certes, « l’argumentation actuelle des partisans du Lyon – Turin est trop technique et pas assez politique » (p.3). Défendre la logique du Lyon – Turin, c’est défendre une société invivable. Le « non » des opposant.e.s français.e.s et italien.ne.s n’est pas un « malentendu » à « aplanir » à coups de matraques et de communication, mais la lutte déterminée pour une société juste et souhaitable. L’omni-communicant Pierre-Jérôme Hénin, après s’être accordé « un petit tour du monde qui a duré neuf mois » (5) en famille, nous déclare : « maintenant il y a ceux qui commentent et ceux qui agissent ». Les comités NO TAV, en France comme en Italie, n’ont d’autre choix que de continuer leur travail de contre-information et de mobilisation.
Bloquons le tour du monde des puissants. Défendons notre futur.
(1) Nous tenons ce document à disposition des lecteurs et lectrices les plus motivé-e-s sur notre site internet http://www.notav-savoie.org/
(2) http://www.nanomonde.org/Exclusif-La-liste-des-questions
(3) http://grenoble.indymedia.org/2013-02-13-Vous-aussi-imposez-votre-grand
(4) https://fr-fr.facebook.com/rhonealpes.elusecologistes/posts/736818333013378?stream_ref=10
(5) http://www.pjhenin.com