Qui dirige les bulldozers ?
Bref résumé du contexte international
En 1986, les technocrates de Bruxelles constatent que, malgré leurs efforts pour le « bon fonctionnement du marché unique », « le nivellement des disparités régionales et nationales au sein de l’Union Européenne » n’est pas encore satisfaisant. « Dès lors, l’interconnexion et l’interopérabilité des réseaux nationaux d’infrastructures sont apparues comme des facteurs-clés pour l’aménagement cohérent du territoire communautaire » (source :Acte Unique Européen signé par les États membres le 17 février 1986 à Luxembourg, qui révise les traités de Rome pour relancer l’intégration européenne et mener à terme la réalisation du marché intérieur).
En 1990, trente axes principaux sont dessinés sur la carte de l’Europe. Ils strient le continent de Stockholm à Lisbonne, avec une légère bifurcation par Londres, puis de Londres à Naples, et enfin, de Kiev à Lisbonne en passant par Turin.
Côté italien, les dirigeants sautent sur l’aubaine que représentent ces grands chantiers, qui sont habituellement la porte ouverte aux magouilles financières les plus variées. En 1996, le gouvernement de gauche de Romano Prodi donne son feu vert au projet. A son arrivée au pouvoir en 2001, Silvio Berlusconi persiste et signe avec la France un accord pour la réalisation d’une nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin passant par le Val de Suse, équipée de tunnels sous les Alpes dont un de 23 et un de 53 km. Les syndicats et les entreprises de BTP exultent, entonnant la chanson toujours ressassée de la providentielle création d’emplois.
Côté français, le conseil général des Hautes-Alpes et les Verts se congratulent. Et tous célèbrent la « relance du ferroutage » et du « développement durable ». On s’excite sur ce projet de « Corridor 5 » qui, venant de Kiev, mettrait Turin à une heure et trois quarts de Lyon, en lien avec le « programme de continuité urbaine » de la « méga-technopôle » de deux millions d’habitants qui s’étendra bientôt de Lyon à Genève, et rapprocherait la région Rhône-Alpes et le sillon alpin des trois autres grands moteurs économiques européens que sont le Bade-Wurtemberg, la Catalogne et la Lombardie.
Avec la Grande Vitesse, on pourra enfin diviser par deux le temps qu’il nous faut pour trouver à la gare d’arrivée le même décor et le même ennui qu’on a laissés à la gare de départ (même McDonald, même hôtel Ibis, même gentrification, même flicaille, etc., etc.)
Paradoxalement, ce n’est que lorsque chaque endroit est devenu identique et stérile, que le fait de se déplacer le plus rapidement possible est devenu une conquête.
Comment la technologie et le progrès anéantissent à Grande Vitesse nos vies :
la course d’un train fou sur un quai sans issue.
Pour réaliser ce mirifique projet, les chantiers devront durer au minimum 20 ans, dans une vallée déjà traversée par… une ligne ferroviaire, deux routes nationales, une autoroute et deux lignes haute-tension.
Le gouvernement et les industriels misent sur l’apathie que provoquent, généralement avec une écrasante réussite, le caractère hypnotique du progrès, la promesse d’un boulot et la consommation frénétique de marchandises.
Mais, la population locale et un bon nombre de personnes conscientes de l’ampleur des dégâts commencent à manifester des réserves.
Quelques effets collatéraux en Val de Suse
Un grand nombre de poids lourds en transit par les routes de la vallée, nécessaires pour l’évacuation d’environ 17 millions de m3 de matériaux extraits pour creuser le tunnel (dont 1,15 millions de m3 contenant de l’amiante et 15 millions contenant de l’uranium…).
Les montagnes du Val de Suse sont formées de roches qui contiennent de l’amiante et de l’uranium. à l’occasion des travaux et du transport des matériaux, ces substances se répandront en micro-poussières dans l’environnement, allant, même dans des conditions atmosphériques ordinaires, jusqu’à la banlieue de Turin. En effet, tant l’uranium que l’amiante, sont très dangereux en cas d’inhalation et, pour l’amiante, il n’existe pas de seuil minimum, c’est pourquoi, même une seule fibre inhalée, peut provoquer un mésothéliome (cancer de la plèvre qui provoque la mort environ 9 mois après le diagnostic dans 100% des cas et qui se développe 15 à 20 ans après ces inhalations) ; l’uranium provoquera, pour sa part, plutôt des lymphomes (maladie dont souffrent, par exemple, les populations exposées aux missiles à uranium appauvri au Kosovo).
La construction d’une nouvelle ligne électrique (la troisième dans la vallée).
Les nuisances acoustiques, déjà constatées pour la ligne à Grande Vitesse du centre de l’Italie, seraient, en plus, aggravées du fait de la configuration locale (une vallée entourée de hautes montagnes).
Plusieurs nappes phréatiques seront asséchées par les fouilles et d’autres seront contaminées par l’uranium.
Etc., etc., etc.
Syndrome NIMBY [1] ou guerre sociale contre ce monde de merde (et les nocivités qui vont avec) ?
Lister toutes les possibles nuisances, spécifiques à ce projet et à ce contexte, sans une critique plus globale et radicale du système capitaliste qui les engendre, sans une remise en cause de la technologie et du progrès en tant que mercenaires et parties prenantes du Capital, ne serait qu’un pansement sur une jambe de bois, et, par là même, cette lutte s’inscrirait dans les catégories NIMBY (voir encart plus bas) ou citoyenne : catégories qui, à mon avis, sont elles aussi parties prenantes du capitalisme.
Si je trouve compréhensible de se défendre d’abord contre une nuisance qui attaque notre environnement proche, il me semble que s’en tenir uniquement à ça n’a aucun sens ni aucune force, car chacun de ces projets n’est qu’un bras de la même pieuvre et, même si on arrivait à en « sectionner » un ou plusieurs, d’autres « tentacules » seraient prêtes à prendre la relève pour nous écraser ; ces nuisances ne sortent pas de nulle part, elles viennent de la même logique et se dirigent vers des buts similaires : production de marchandises, augmentation des bénéfices, contrôle de masse, anéantissement de toute dynamique individuelle ou collective allant à l’encontre du Capital.
Il semble clair que le transport à grande vitesse des marchandises (y compris la marchandise humaine) est imposé par les aberrations de la consommation de masse : le gain de temps, qu’on nous deale comme un besoin humain que chacun devrait pouvoir satisfaire, ne répond en fait qu’aux intérêts du Capital et de sa reproduction. Une course, nécessaire et rapide, qui ne laissera aucune place à des pensées ou désirs qui ne soient pas une nouvelle marchandise à consommer. Une course qui broiera tout ce qu’elle croisera sur son passage, nos vies avec.
Globalement, les gens qui s’investissent dans cette lutte semblent avoir conscience que l’enjeu dépasse la seule vallée ; non seulement les manifestations locales sont soutenues par des milliers de gens provenant de toute l’Italie, mais les participants eux-mêmes vont massivement tisser un réseau de solidarités concrètes avec de nombreuses luttes contre des projets similaires. Pour en citer trois importants : la construction d’un tronçon de la même ligne TAV au Pays basque (dont on n’entend pas trop parler, mais où la résistance tient le coup depuis des années à coup de manifs et de sabotages), les jeux olympiques d’hiver 2006 (qui ont bétonné et ravagé toutes les vallées à proximité de Turin) et le pont sur le détroit de Messine qui doit relier le continent italien à la Sicile (après de nombreux retards les chantiers devraient démarrer courant 2011).
Il y a un front commun entre populations concernées par les différentes nuisances, squatteurs, syndicats ouvriers « de base » (notamment le COBAS [2]) et anarchistes : le cloisonnement entre différents « mondes » est, pour une fois, atténué. Et c’est ce cloisonnement que l’État tâchera de rétablir avec les arrestations et les procès entre 1998 et 2005.
Qui sème la misère récolte la colère !
À partir de août 1996
Parallèlement aux premières assemblées publiques, commencent les attaques contre les entreprises chargées de préparer les chantiers de la Grande vitesse : cocktails Molotov et explosifs sur les foreuses, incendies de cabines électriques et de transformateurs ENEL (EDF italienne), sabotages de relais de télévision et de téléphone, tirs de fusils qui criblent toutes sortes de matériels de chantier, dynamites dans les systèmes électriques des tunnels de l’autoroute, bombes artisanales dans les relais centraux télécom (et aussi dans les relais radio des gendarmes !)… : voici une liste non-exhaustive des actions menées contre ce projet (qui se comptent par dizaines). Aux alentours des sabotages, on trouve souvent des revendications ou des tags contre le TAV ou plus largement contre l’oppression, parmi eux le Front armé Val susain qui écrit sur des tracts laissés sur un sabotage :
« Le Front armé du Val de Suse remercie l’opposition violente et non-violente contre la taupe (synonyme de foreuse en italien) à Grande vitesse. Continuez comme ça les gars ! Défendre notre terre est un devoir sacré par tous moyens et à tout prix. Même si on ne veut pas la violence, lorsqu’il n’y a pas d’autres moyens, il en va ainsi ! »
Mais aussi les « Loups gris » qui ont un regard un peu plus global sur la question, laissant eux aussi des tracts sur les lieux des sabotages :
« Loups gris, armée des ténèbres et vendetta des pauvres, en solidarité contre le TAV, les impôts, l’Église, la mafia, le Capital, la consommation, la fausse démocratie, la taule, l’école, la caserne… »
En deux ans d’actions, il y en aura pour des centaines de milliers d’euros de dégâts.
Fin 1997 Une manifestation est organisée à Bussoleno par les partis, les syndicats et l’Église (même combat !) pour protester contre les attentats qui attaquaient la Grande vitesse. Il n’y a que les maires et des membres des partis qui défilent. Les journaux locaux sont même contraints d’admettre que « les citoyens qui ont répondu à l’appel des institutions sont peu nombreux ».
L’État commence à craindre une hostilité qui, dépassant pour une fois les illusions du dialogue et du dissensus verbal, passe à la pratique. Ce qui met en lumière, non pas une simple opposition, une révolte individuelle, un acte symbolique, mais (et c’est bien plus important) un processus collectif d’insurrection difficile à arrêter.
L’hostilité des habitants de la vallée ne pouvant être achetée, il fallait au moins la priver d’une partie des armes auxquelles elle aurait pu avoir recours. En particulier, d’une des pratiques les plus craintes par les puissants et constituant depuis toujours le patrimoine des exclus : le sabotage.
Début mars 1998 sont donc capturés trois anarchistes (Edo, Sole et Silvano) accusés de faire partie d’une « association subversive » soi-disant responsable des sabotages.
La stratégie de l’État pour diviser le mouvement est claire : nier, y compris face à l’évidence, que les actions accomplies en Val de Suse aient été l’expression d’un mépris collectif face à un énième abus de pouvoir ; taire le fait évident que les sabotages aient été le fruit de mains et d’esprits différents, pas forcement « politisés » ; enfermer l’affrontement et le mal‑être diffus au sein d’une guerre « privée » : d’un côté l’État, les entrepreneurs, les financiers du TAV, et de l’autre… les « Anarchistes ». La population locale ? Ceux qui subiront directement les conséquences du train ? Hors-jeu.
Trois semaines plus tard, Edo sera « suicidé » dans sa cellule et, quelques mois après, Sole décidera de le suivre en se suicidant en résidence surveillée.
D’autres participants sont mis en examen, les procès se succèdent. De lourdes condamnations tombent.
L’attention générale – y compris celle des mouvements antagonistes – s’est déplacée du Val de Suse aux rues de Turin. Ça sent la manipulation, on finit par ne plus parler de la raison même qui a conduit à leurs arrestations et pour certains, à leurs morts : la résistance et les attaques contre le projet du TAV. Les contrôles de police se resserrent sur chaque anarchiste, sur les amis des trois arrêtés et sur leur famille.
De 1996 à 2001 rien ne bouge dans les chantiers : la France et l’Italie manquent de fonds et les travaux sont donc en stand‑by.
Fin 2003, l’Union européenne accepte de verser 20% des 13 milliards d’euros prévus, puis décide en été 2004 d’en financer 50%.
Entre temps, énormément de terrains ont été expropriés, du moins sur les papiers !
Les premiers travaux, après récupération des terrains expropriés, doivent donc commencer sous forme de carottages et études géologiques pour définir le parcours du train.
Début juin 2005, 30 000 personnes manifestent pour s’opposer aux premiers sondages géologiques. Pendant tout le mois, en plusieurs points de la vallée, les techniciens et les ouvriers sont bloqués et repoussés des terrains expropriés. Les autorités décident un moratoire des travaux pendant 3 mois.
30 octobre 2005, dernier jour du moratoire, la vallée est bloquée par une marée humaine. Les accès aux zones de sondage sont bloqués ainsi que les routes, les autoroutes et les chemins de fer. Les flics n’arrivent pas à forcer le barrage et négocient le déblocage de la vallée en échange de leur départ. Alors que les opposants célèbrent leur victoire, à 3h du matin, les forces de l’ordre occupent les terrains auxquels ils n’avaient pu accéder pendant la journée. 15 000 policiers s’installent dans la vallée (qui compte 50 000 habitants). C’est une véritable occupation militaire.
16 novembre, 80 000 personnes manifestent pour réclamer la suppression du projet et le retrait de la police.
28 novembre, les keufs attaquent dans la nuit et prennent possession des terrains de Venaus, site d’entrée du prétendu futur tunnel. Une partie du site est reprise par les manifestants qui s’installent et occupent jour et nuit, malgré le froid.
6 décembre, à l’aube, policiers et gendarmes attaquent les occupants. Quelques dizaines de personnes sont blessées dont deux gravement. L’alerte est donnée par les résistants jusqu’à Turin : une grève sauvage et massive est mise en place. Usines, bureaux, écoles, mairies, cheminots cessent le travail. L’autoroute est bloquée ainsi que les chemins de fer. La police est encerclée.
8 décembre, 30 000 personnes se dirigent vers Venaus, puis se scindent : une partie se détache pour affronter les forces de police ; lacrymos contre pierres, corps à corps. Les flics abandonnent le terrain. Le chantier est réoccupé et les engins et les infrastructures sont sérieusement endommagés.
12 décembre, le gouvernement décide une trêve de 6 mois (qui durera 5 ans, jusqu’en 2010 !).
Des procès et des condamnations auront lieu les années suivantes concernant les événements de 2005.
Sabotage et lutte sociale
Dans les luttes sociales, il y a souvent des situations et des épisodes inconfortables, dangereux, encombrants, qu’« on » préfère oublier. Un de ces cas est celui qui concerne les sabotages apparus en Val de Suse entre 1996 et 1998.
De la période d’avant les batailles de 2005, certains préfèrent uniquement se souvenir de conférences, de comités institutionnels et de manifestations. Deux jeunes sont morts, certes, mais ils préfèrent croire que c’est une histoire « louche » de services secrets, de trafic d’armes et d’explosifs…
L’hôte ingrat, que beaucoup voudraient ainsi mettre à la porte, a un nom bien précis : le sabotage. L’accepter dans les rangs est en effet difficile pour certains. Ça implique le risque de perdre le consensus et de « compromettre » le travail accompli. Le risque de fissurer le front du « non ».
C’est comme lorsqu’on se souvient de 68. Quelques mois de joie, d’émeutes, de mouvements, d’assemblées universitaires… puis, rien : après, il n’y a que « le terrorisme ». C’est ainsi que disparaît une décennie de luttes radicales, de répressions brutales, d’expériences d’envergure. Il y a même des dirigeants de syndicat qui se vantent, aujourd’hui, d’avoir participé à ces années de lutte sans n’avoir jamais rien fait d’illégal ; comme si l’histoire des mouvements sociaux n’était pas faite d’innombrables épisodes d’illégalisme de masse (blocages, sabotages, occupations, piquets, manifs sauvages, affrontements avec la police, etc). Pas mal comme coup d’éponge !
L’illégalité est une réponse parmi d’autres au fait que les lois ne font que formaliser les rapports de force au sein de la société ; c’est, entre autres, une façon de rappeler à nos oppresseurs que les « frontières » entre le légal et l’illégal, le « bien et le mal », ce sont eux qui les ont créées, et qu’elles ne sont faites que pour préserver leur rôle de dominants et perpétuer notre place d’opprimés : ces définitions ils peuvent donc les garder pour leur bonne conscience ou pour les gauchistes « politiquement corrects » ; de même pour leur notion de « justice ».
Outre que l’histoire des opprimés est remplie d’exemples d’un usage collectif du sabotage (dans les luttes, dans les pratiques d’autonomie et dans les révoltes sociales), on peut aussi remarquer que le passage de « quelques individus isolés » à « beaucoup de gens énervés » ne se fonde sur aucune certitude mathématique. Cela veut dire que les luttes ne naissent pas magnifiques et soudées. Les premiers chantiers du TAV ont été occupés par 100 personnes, les derniers par 30 000.
La légitimité éthique du sabotage devrait être reconnue et défendue, même par ceux qui en critiquent l’utilité pratique ; par ailleurs, ce n’est pas parce qu’on n’a pas recours à certaines formes de lutte qu’on doit les dénigrer. La tendance à voir des complots partout est malheureusement banale et on entend souvent des accusations envers des actions qui seraient « contre le mouvement ». La réalité semble toujours propice à suggérer « d’étranges coïncidences » à ceux qui en cherchent : tout devient obscur.
Mais, qu’y a-t-il d’obscur dans les sabotages contre les foreuses et les chantiers du TAV ? Y-a-t-il une différence de légitimité si cette pratique est adoptée par des centaines de personnes (comme en 2005 à Venaus) ou par une petite poignée d’individus (comme entre 96 et 98 dans toute la vallée) ? Attaquer à quelques-uns un chantier, qui porte en lui la misère sociale et la dévastation de l’environnement, est aussi juste que de l’attaquer à des milliers.
Là où certains ont cru voir de mystérieuses volontés de rendre la lutte no-TAV « criminelle », l’appareil d’État a vu quelque chose de bien trop clair : la révolte possible d’une vallée.
Il ne fait aucun doute qu’une lutte populaire et massive est préférable pour plein de raisons à des petites résistances individuelles, mais lorsque il n’y a pas de réponse collective, doit-on rester sans rien faire ? Le sabotage et la révolte sont légitimes, indépendamment du nombre de gens qu’ils concernent. Malheureusement, dans le deuxième cas, il est plus facile de marginaliser, créant une division sommaire entre « bons » et « méchants ».
L’histoire devrait nous enseigner que les luttes ont besoin de mille facettes à mêler avec passion et habileté. Mais il est impossible d’en prescrire les doses exactes pour que s’enflamme la rébellion.
Et maintenant, qu’est-ce qu’y se passe ?
Après 2005, grâce à la mobilisation massive des opposants (et le manque de fonds), les travaux s’arrêtent jusqu’à début 2010, quand l’État annonce la mise en œuvre de 91 carottages d’étude géologique entre Turin et la frontière, pour décider du meilleur tracé.
La France, discrètement, en a déjà fait 169 de son côté et depuis bien longtemps…
Janvier 2010, les carottages commencent, les foreuses sont amenées la nuit et défendues par l’armée ; il y a une répression violente des protestations. Les flics jouent au chat et à la souris avec les opposants : personne ne sait où sera exactement le prochain forage et tout le monde guette l’arrivée des machines, par un temps pour ainsi dire glacial. Deux semaines avant les élections locales (début mars), les forages sont stoppés… on n’en entend plus parler, bien que la plupart n’aient pas été faits.
En juillet, sans préavis, le projet est déposé : le ministère italien de l’environnement l’a validé en octobre et le Comité interministériel pour la programmation économique a donné l’approbation du projet définitif le 18 novembre. Le projet de la liaison ferroviaire mixte voyageurs/fret Lyon-Turin, dans son tronçon italien, a donc officiellement débuté. On n’en est plus aux études préliminaires : les vrais travaux vont commencer.
Le creusement du tunnel de la Maddalena devrait débuter en juin/juillet 2011 ; une excavation de 7,5 km est prévue, à 800 mètres des habitations de Chiomonte.
C’est par là que les travaux doivent commencer et c’est là que les no-TAV ont construit sans aucun permis de construire un « presidio » : vous allez entendre souvent ce mot par là bas, ce sont des maisons en matériel de récup’, des sortes de cabanes qui ont été construites sur les lieux des chantiers ou des sondages afin de les empêcher. Ils sont devenus des lieux phares du mouvement no-TAV et ils ont souvent subi les assauts de la police. Personne n’y habite vraiment, mais il y a toujours quelqu’un, c’est un peu l’endroit où se tissent les moments de convivialité et où l’on organise la suite de la lutte.
Les travaux du tunnel de base (53 km) sont prévus pour 2013 et la fin des chantiers pour 2023, l’Italie est en retard sur toutes les échéances et a dû rendre à l’Union Européenne certains financements. Tout ça pour dire que la lutte risque de durer encore longtemps et que ce n’est pas le moment de lâcher l’affaire ; c’est une lutte d’endurance qui ne pourra pas être gagnée avec un seul coup d’éclat ou un seul affrontement avec les chiens de garde du Capital. Il faudra tenir le coup encore 10 ou 15 ans, et pour ça il faut bâtir des solidarités concrètes.
Ce texte se veut solidaire avec tous ceux qui résistent, occupent, sabotent et luttent pour mettre à bas ce monde.
La solidarité est une arme (parmi d’autres).
Pour mieux connaître l’histoire de cette lutte :
« A toute allure » traduit de l’italien sur infokiosques.net
« Un poignard et un talisman » traduit lui aussi de l’italien sur www.non-fides.fr, base de données anarchistes
« Homme pressé, homme mort » CQFD n° 31 sur cequilfautdetruire.org
« Liaison ferroviaire transalpine Lyon-Turin, « syndrome NIMBY » et « no-TAV » sur wikipedia
Pour se tenir au courant de ce qui se passe aujourd’hui (malheureusement que en italien) :
http://www.notav-valsangone.eu (site du « presidio » où doit commencer le premier chantier)
[1] NIMBY : Cet acronyme provient de l’anglais Not In My Back Yard qui signifie « pas dans mon arrière-cour », et se retrouve, depuis les années 80, dans la littérature sociologique française (« le syndrome NIMBY »).
Une mobilisation de type NIMBY s’organise souvent dès qu’une administration ou une entreprise annonce la construction d’une autoroute, d’un aéroport, d’un centre d’enfouissement, d’une antenne radioélectrique, d’un incinérateur de déchets, d’une ligne à haute tension, d’une éolienne, etc. Dans tous les cas, des arguments sociaux ou écologiques peuvent être avancés par les NIMBY, mais ils ne sont pas crédibles s’il ne s’agit que de déplacer le problème ailleurs. Le syndrome NIMBY – qui a son origine aux USA – désigne en particulier l’attitude des personnes qui veulent tirer profit des avantages d’une technologie moderne, mais qui refusent de subir dans leur environnement proche les nuisances liées aux infrastructures nécessaires à son installation. Les NIMBY essaient alors de transférer ces nuisances à d’autres membres de la société, ce qu’ils parviennent souvent à faire s’ils disposent d’un plus grand poids économique ou politique. Le résultat, c’est une concentration des industries polluantes et des nuisances dans les zones économiquement pauvres.
[2] COBAS : confédération des comités de base, qui regroupe tous ceux qui veulent s’organiser en dehors des syndicats institutionnels à la botte des patrons. Elle inclut chômeurs, retraités, immigrés, intérimaires, cheminots, métallurgistes, sidérurgistes, profs, étudiants… bref : tout le monde.
Elle s’organise « à partir du bas » et n’a pas de direction nationale mais des comités locaux.
Quelques extraits de ses statuts pour préciser ses buts :
« Les principes incontournables de notre association sont :
la défense et l’amélioration des conditions de vie et de travail de tous les travailleurs, surtout ceux des secteurs populaires et des couches sociales les plus faibles et marginalisées.
le dépassement des logiques d’exploitation de l’homme par l’homme, la lutte contre la domination du profit et la marchandisation généralisée de la société.
l’indépendance vis à vis de toute institution, parti politique, organisation patronale ou gouvernementale. »