Erri De Luca défend sa liberté d’expression devant ses juges à Turin

L’écrivain italien Erri De Luca a défendu mercredi sa liberté d’expression devant le tribunal de Turin (nord), à l’ouverture de son procès pour incitation au sabotage du chantier de la ligne ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin.

La prochaine audience a été fixée au 16 mars, avec l’audition des premiers témoins.

«Le verbe saboter est noble ! Gandhi lui-même l’a utilisé», a déclaré peu avant le début de l’audience l’auteur de «Montedidio», prix Feminia étranger en 2002 en France.

Erri De Luca, 64 ans, est accusé d’avoir incité au sabotage du chantier de la TAV (équivalent français du TGV), dans un entretien avec plusieurs médias italiens en 2013.

Dans la petite salle du tribunal, une vingtaine de «No-TAV» — qui jugent le chantier néfaste pour l’environnement et d’un coût exorbitant — sont venus soutenir l’écrivain, certains brandissant des affiches proclamant «Je suis Erri».

Dès le début de l’audience, le procureur Andrea Beconi a affirmé qu’il n’y avait à son avis aucune ambiguïté sur le sens du mot «saboter» utilisé par l’écrivain: il s’agit bien d’incitation à la destruction de biens.

Selon lui, il n’est certes pas question de remettre en cause la liberté d’expression, mais dans le cadre de la loi. Or l’incitation à commettre un délit est bien l’une des limites prévues par la loi à la liberté d’expression, a insisté le procureur.

Pour Alberto Mittone, avocat de la société franco-italienne LTF, qui construit la ligne et qui est à l’origine de la plainte, «les délits peuvent se commettre tant avec des paroles qu’avec des actes».

Me Mittone s’est aussi beaucoup attardé sur la personnalité d’Erri De Luca, longtemps militant d’extrême-gauche, soulignant aussi que son influence en tant qu’écrivain reconnu donnait à ses propos un impact psychologique plus important.

«Mais qu’on me présente ces gens que j’ai incités à saboter, à commettre des délits ! Où sont-ils ?», a lancé M. de Luca, interrogé par les nombreux journalistes venus assister au procès.

– ‘Une sanction politique’ –

Le parquet et la LTF voulaient présenter de nombreux témoins — mais aucun «saboteur» – et une importante documentation, afin d’expliquer le contexte et de relier les propos de l’écrivain au combat des «No TAV».

L’avocat de l’écrivain, Me Gianluca Vitale, s’y s’est vivement opposé, dénonçant le risque de «dérive» d’un procès qui serait allé bien au-delà du cas d’Erri De Luca.

Le tribunal lui a partiellement donné raison en rejetant une partie des témoins réclamés par le parquet et la partie civile.

«Ce procès en sera d’autant moins lourd», s’est félicité l’écrivain devant l’AFP à la fin de l’audience. «Ca n’en continue pas moins à être un procès à liberté d’expression», a insisté son avocat.

Mardi, 47 opposants au chantier de la ligne Lyon-Turin avait été condamnés à Turin à des peines de prison ferme pour des heurts violents avec la police italienne en juin et juillet 2011, tandis que six autres ont été acquittés.

Un total de 150 années de prison ont été infligées dans cette affaire.

Lors de ces affrontements, des centaines de manifestants encagoulés venus de toute l’Italie découpaient les grillages protégeant le chantier dans le Val de Suse, à l’ouest de Turin, ou en bloquaient l’accès, lançant des cocktails Molotov et des engins explosifs artisanaux sur les forces de l’ordre déployés en nombre.

«C’est une sanction politique !», a dénoncé à ce propos Erri De Luca.

Lui-même risque entre un et cinq ans de prison et a déjà prévenu qu’il ne comptait pas faire appel en cas de condamnation.

Leur Presse (Libé, 28-01-15)

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